On en aura jamais assez, 100 fleurs pour un chant
Never enough, 100 flowers for a sing2023
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Texte : “101 petites considérations pour 100 fleurs” Louise De Bastier
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Il y en a qui ressemblent à des entailles que l’on aurait creusées au fond de quelque chose (quelque chose comme de la terre) et dans lesquelles on aurait récupéré des objets variés.
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Le gris de la terre est si profond si dense qu’il ne permet aucun reflet et l’on en distingue à peine les modulations les creux et les vallées.
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Les objets sont nombreux : à la fois identiques et différents.
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Ce sont des choses qui poussent d’en dessous ou de par-dessus, certains disent des choses qui flottent d’au-delà et on serait curieux de les voir pour de vrai.
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Ce sont des baguettes prises au piège de la cendre (de la lave) : Pompéi ou ce qu’il nous en reste.
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Le souvenir est encore vivace.
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Le décor appartient lui à tous les temps, le fond est neutre.
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Les couleurs se répondent parfois dans un écho bruyant mais la plupart du temps elles sont sourdes elles invitent dans le sombre dans la terre à quelque chose qui rentre et qui s’enfouit.
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Parfois le détail est beaucoup plus fragile que cela : blanc c’est plus rare au milieu des cendres c’est beaucoup plus rare d’y trouver du blanc et encore du jaune du vert qui brille cette fois.
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Certains des objets attirent une lumière qui vient – on ne sait pas d’où vient la lumière.
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La plupart des fleurs sont formées dans une ligne verticale c’est pour ça qu’on les appelle « entailles » elles ont les contours précis d’une coupure verticale rouge du sang puis refermées et puis bleu violette verte du bleu et de la cicatrisation.
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Les fleurs sont différentes étapes de la cicatrisation.
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C’est dégoûtant lorsque ça dépasse : c’est comme du pus un caillot de sang qui ressemble à celui des menstruations avec lequel on se retrouve dans la main et duquel on ne sait pas bien quoi faire car c’est comme un animal minuscule qu’il faut ensuite laisser glisser dans la paume puis sur le blanc de la cuvette puis dans l’eau d’on ne sait quel conduit.
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Il y a des plis et il y a des ouvertures.
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Dans le tissu, elles laissent une trace soit rouge soit grise : une fine poussière.
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Les corps de chaque branche ont été suspendus dans le temps : si celle-ci courrait vers la droite, elle a été immédiatement stoppée dans sa lancée, elle n’arrivera jamais au point où elle comptait arriver.
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Tout a été enfoui sous au moins dit-on sept mètres de cendre volcanique.
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Le corps a pris la forme d’un bourgeon : le bras est venu couvrir le reste du profil comme une manière de s’assurer de ne pas voir la catastrophe, à présent les parties du corps en contact avec les coulées sont devenues vertes.
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À côté de qui aurait-on été allongé à jamais ?
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Les couleurs pourraient sortir d’un laboratoire ou d’un savant mélange de plusieurs colorants extrêmement chimiques et dangereux à respirer.
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On porte un masque lorsqu’on les manipule.
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La question reste elle aussi : suspendue.
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Le centre de la fleur au milieu des pétales grises est d’un rouge profond et il est probable que cela ait été avant une grande bouche ouverte.
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Un silence règne sur l’ensemble du paysage : si c’est la nuit, c’est une nuit qui dure on ne peut pas savoir quand elle finit.
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Mais tout n’est pas noir : il y a une fleur jaune éclatante à l’extrémité de ses pétales.
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Un des objets frappe par sa blancheur la jeune mariée a dû être arrêtée dans sa course avec le choc sa robe s’est relevée sur le haut de son corps protégeant son visage et son buste tandis que ses deux jambes se sont fondues en une seule.
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Tout derrière on devine le Colysée ou toute autre construction italienne à demi-écroulée.
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La ville aussi en fond est silencieuse certains touristes s’efforcent de marcher à pas légers.
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Les photographies y sont autorisées.
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Chaque regard compte car il éloigne pour une seule seconde l’omniprésence de l’oubli.
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On est toujours émerveillé de la couleur flash du sang lorsqu’il sort de nous.
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S’il ressemble la plupart du temps vraiment à du ketchup c’est en beaucoup plus liquide un ruisseau qui ne s’arrête pas jusqu’à ce qu’on vienne coller un coton à la plaie puis un pansement pour aider la cicatrisation.
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Il y a des splash ici et là.
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L’image choque à première vue du contraste trop saisissant : le rouge est trop rouge et le gris trop gris.
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Ce qu’on appelle « entaille » est si parfaitement affutée qu’une matérialisation 3D pourrait être dangereuse : la fleur pourrait couper, blesser, et plus.
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Ainsi, le docteur touche avec précaution la jambe devenue bleue.
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Ce qui heurte le plus ce sont bien les toutes petites coupures à l’intérieur de la muqueuse par exemple les brûlures sur la langue qui la rende râpeuse et plutôt inconfortable.
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La douleur reste un temps puis elle passe parfois parce qu’elle disparaît le plus souvent parce qu’on s’y habitue.
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La fleur pourrait parler et dire quelque chose.
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On entendrait le mot « histoire » résonner tout autour à cause de l’espace trop vide le fait de ne pas meubler les murs laisse la possibilité au son de s’échapper et chaque pas a la puissance d’une grosse percussion.
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L’objet rappelle une série de chûtes et les blessures qui en ont découlées.
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La gaine protectrice n’a pourtant pas conservé leur odeur.
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Dans le champ, elles sont surélevées à l’aide de multiples barres métalliques grises si bien qu’elles ne touchent jamais le sol.
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Elles n’ont qu’une seule fonction : être regardées.
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Le ciel au-dessus et encore au-dessus le soleil donnent tout leur éclat aux plus claires d’entre elles.
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Certaines sont pourtant difficilement visibles en raison du ton sur ton de leur agencement il faut alors se concentrer pour apercevoir leurs contours mais à peine a-t-on détourné le regard que déjà tout est à recommencer l’œil ne s’habitue pas.
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Dans le noir les silhouettes sont toutes similaires.
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Les reliques jouent dans des espaces de ruine à rappeler ce qui justement n’est plus.
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De la même manière, le haut de l’objet a la forme d’un corail comme ceux que l’on peut observer dans les aquariums : on dit qu’ils sont protégés ainsi d’une possible disparition mais on ignore la véracité complète de l’énoncé.
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Le flou de l’arrière-plan évoque l’eau et le courant.
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L’arrière-plan passe mais les objets restent.
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Si l’on plonge à plus de cinquante mètres dessous on peut trouver des structures en grès appelées « mystérieuses constructions sous-marines » on ne sait pas si elles ont été construites par l’homme ou par la force conjointe de l’eau et de la roche.
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Lorsqu’on nage, on est parfois effrayé de l’étendue d’inconnu souterrain : l’imagination produit des merveilles.
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La forme particulièrement reconnaissable de l’animal (« hippocampe ») donne à cette fleur un caractère malicieux ou joueur comme si elle pouvait nous échapper à tout moment.
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Le visage légèrement relevé vers le haut semble indiquer un dernier mouvement pour chercher l’air la bouche est ouverte même si à présent plus aucun souffle n’en sort.
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Dans les cavités, on a ajouté du plâtre ce qui révèle l’objet disparu.
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Du plus chaud au plus froid le violet donne différentes palpitations jusqu’à disparaître tout à fait : c’est le jaune qui a présent s’impose.
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Puis, le blanc.
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La couleur est celle d’une roche blanchâtre coulante puis durcie.
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Le carton explique que chaque forme est creuse mais la plupart des visiteurs l’ignorent et sont convaincus de l’existence ou plutôt du souvenir du corps à l’intérieur.
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À l’intérieur de la fleur, il y a une fleur : c’est ce que se disent les visiteurs.
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Ainsi tuméfiée les fleurs sont devenues d’autres êtres vivants par exemple des coquillages.
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Le site est apparemment devenu une destination à la mode pour les Européens.
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Sur la cuisse, le bleu prend une forme informe et s’agrémente de petits pus et de rugosité : si on appuie trop fort dessus on peut crier.
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Tout y est liquide et dégoûtant comme la coquille d’une huitre que l’on ouvre et dont on extirpe l’animal pour le glisser sur la langue puis dans la gorge l’huitre s’avale toujours tout rond.
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Seul le goût salé reste sur la langue.
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Les feuilles de salade rouge sont beaucoup plus amères : elles comptent dans la présentation globale de la salade mais se remarquent une fois entrées en contact avec le palais elles peuvent même déclencher un rictus sur le visage.
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Le gluant de l’ensemble rappelle le caractère profondément vivant de la fleur : c’est l’arrière-plan qui est absent et mort les deux seules couleurs présentes sont le noir et le blanc et rappellent une ancienne photographie de guerre.
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On ne distingue pas bien de loin si ce sont des sacs poubelles ou des grosses pierres rondes, au moment des grandes manifestations les deux se confondent et deviennent des manières de dire le froid qui commencent à couvrir les rues.
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Attelée au travail de la terre, on pourrait dire qu’elle s’occupe littéralement de l’inhumation des vivants.
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Malgré tout, quelque chose résiste.
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L’amphithéâtre n’est ni vaste ni riche il est simplement creusé dans la terre et ses gradins de pierre sont appuyés sur un talus de gazon.
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Les objets y sont disposés dans un ordre précis.
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Les plus sombres appellent les plus conséquentes on en remarque une dans l’accumulation dont la jupe s’est emplie d’air son gonflement contraste avec la finesse de ses doigts qui cherchent à attraper quelque chose peut-être la poignée d’une porte une sortie.
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Des pierres minuscules et des gravats d’une terre rougie se glissent entre les parcelles et provoquent un brouillage temporel on ne sait plus de quelle époque date exactement l’ensemble.
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Le dos de l’homme est venu couvrir le corps de son ami : le dos est rouge braisé il cache les deux visages de ces hommes qu’on dit « amants ».
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Les deux pétales correspondent aux deux lèvres d’un sexe ce moment où le corps est ouvert et invite à une coulée ici on voit que celle-ci est descendue jusqu’à l’extrémité de l’objet la coulure en est noire.
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Le contact avec le four très chaud a dû brûler l’entièreté de la surface donnant au rouge cette couleur particulièrement profonde et dense il est difficile cependant de savoir si cette opération a causé une quelconque douleur.
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Le nuage (noir) ressemble à un pin parasol.
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Ce travail a sans aucun doute été réalisé dans la nuit.
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Contre certaines d’entre elles on peut apposer légèrement la bouche et souffler : la flûte garde la trace d’un peu de salive à l’endroit de l’embout : un ADN, quelqu’un.
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Peut-être racontent-elles un moment de plaisir.
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En passant contre les rebords on sent la présence d’un contour presque gaufré on peut entrer ses deux doigts plus profondément dans les interstices pour comprendre comment l’objet s’est replié sur lui-même vers le centre de la fleur il n’y a plus du tout d’espace vide tout s’est regroupé en un seul bloc que l’on peut nommer « cœur » de la fleur.
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Sous la surface des doigts, on distingue deux matières l’une qui accroche et l’autre qui glisse également agréables il peut être conseillé de passer de l’une à l’autre puis de l’autre à l’une sans discontinuer.
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La couleur de la jambe est due au choc de la peau contre la pierre.
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L’image reste gravée dans la mémoire, tout comme l’objet prend place au milieu du terrain vague.
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Si on colle son oreille contre l’agrégat de terre le bruit est sourd et ne laisse passer aucun écho comme si on se trouvait dans une chambre entièrement insonorisée.
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L’objet lui-même ne produit rien si ce n’est le secret de ce qu’il a enfoui.
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Les couleurs qu’ont à présent les fleurs sont légèrement différentes : le contact avec l’océan a donné un reflet azur à la plupart des surfaces blanches l’eau se propage sur les feuilles sans pour autant s’installer et dépose une pigmentation pastelle.
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Un cocon s’est formé.
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Sur le bras il y a plusieurs anneaux dorés leur emplacement laisse supposer un rite ou une cérémonie : la femme avait accompli deux grandes batailles l’extrémité de son bras devient tout à coup blanche et révèle l’endroit où le membre s’est détaché du reste du corps.
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Sur la peau sombre les anneaux sont particulièrement brillants.
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On devine sous la surface nacrée des canaux qui coulent au-dessous.
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Le bruit est celui d’une vie souterraine à 90% certaine cependant il est interdit de l’ouvrir en deux : quel que soit le réceptacle une fois l’objet formé il n’est plus possible d’y procéder à de quelconques fouilles.
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Mu Pompéi L’Atlantide ou La Lémurie sont des cités qui ont été englouties certaines par la lave d’autres par les eaux certaines n’ont même jamais été retrouvées perdues dans des océans dans lesquels nous n’avons pas cherché.
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Le champ est recouvert de cendres puis d’herbe et enfin de gravats de la ville au contact de la terre la plupart des pierres et des objets sont devenus rouges.
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Le soleil est haut.
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Les visiteurs en cette fin de journée se font de plus en plus rares.
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La disposition des objets sur le site appartient à une règle précise.
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À côté de qui aurait-on été allongé à jamais ?
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Nous devons nous borner à l’hypothèse.